Monti: ‘Delors plus’ ou Mitterrand? Réfléchir, expliquer, et descendre dans l’arène: la démocratie en Europe

BOZAR acceuillait hier soir la conférence de lancement du livre de Sylvie Goulard et Mario Monti: ‘La démocratie en Europe’. Mon objet n’est pas de le résumer, achetez-le plutôt. Disons simplement qu’il se refère à ‘La démocratie en Amérique’ de Tocqueville, tout étant plus proche de l’action politique. Il se situe dans la lignée fédéraliste, tout en étant moins pamphlétaire que ‘Pour l’Europe’, le récent livre de Guy Verhofstadt et Daniel Cohn-Bendit, qui ont d’ailleurs introduit le débat. Quant aux messages du premier ministre italien, ils sont résumés ici sur EurActiv.

Pour Sylvie Goulard, c’est dans la droite ligne de son activité académique, et aussi une forme de préparation des prochaines élections européennes. Mais pour Mario Monti, qui dirige un Etat encore fragile financièrement et qui campagne pour être à nouveau Premier Ministre, pourquoi consacrer des heures à achever ce livre? Certes, l’écriture du livre a commencé avant son arrivée au pouvoir, mais pourquoi venir à Bruxelles, au lieu de préparer sa réunion de dimanche avec François Hollande et le Sommet budgétaire de la semaine prochaine.

Ma thèse est que Monti est ‘Delors plus’, combinant à la fois réflexion et pédagogie, là ou Delors excellait, avec l’action politique devant les électeurs, ce qu’il s’est refusé à faire.

Souvenons-nous. Fin 1994, Delors a fini son troisième mandat à la tête de l’executif européen. Epargné par les affres de la politique française, auréolé de son succés avec le marché intérieur de 1992, Delors annonce qu’il ne se présentera pas aux élections présidentielles. Il était le principal espoir de la gauche, et particulièrement des sociaux démocrates et pro-européens. Donc Jacques Chirac sera élu, une longue présidence qui — du point de vue européen — sera décevante, symbolisée par l’échec du référendum de 2005. A part la mairie de Clichy, dans la banlieue parisienne, Delors ne s’était jamais présenté dans une élection. Il a mouillé sa chemise souvent, il continue d’influer positivement avec Notre Europe, et en conseillant son ancien protégé Hollande. Mais, fondamentalement, il a choisi de conserver son prestige international au lieu de se ‘salir les mains’ dans la politique française, qui en avait pourtant grand besoin.

Les ‘pères fondateurs’ comme Schuman, Monnet etc étaient des visionnaires géniaux, mais pas des tribuns, ils communiquaient peu, à une période où se n”était pas essentiel. Delors est de la génération des ‘fils fondateurs’: il communiquait mieux que les autres, mais le défi de l’opinion publiques était dans les sondages, pas dans les votes. Etienne Davignon, l’homologue belge de Delors (qui aurait aussi fait un bon président) a conclu le débat d’hier, en insistant sur l’importance de réfléchir et d’être positif. C’est vrai, et cela ne sufffit plus. Maintenant, on est dans l’ère de la communication pour tous et par tous, des choix participatifs, voire des referenda, de la transparence, en oubliant parfois l’efficacité. En somme, avec toutes ses dérives populistes et court termistes, on est dans l’objet du livre présenté: la démocratie en Europe.

Mario Monti a fait un choix inverse de celui de Delors. Hier, il l’a expliqué comme un choix moral, ‘et peut être une erreur’ a t-il ajouté par modestie. Il pense pouvoir mieux continuer à réformer son pays, mieux changer les mentalités, en se présentant plutôt qu’en restant ‘au dessus de la mélée’. Moi, je dis: chapeau Monti!

Visiblement, il a beaucoup hésité. Nouveau flash back: septembre 2011, Rome, conférence de lancement d’EurActiv Italia. Nous avons un beau panel, y compris Monti, encore professeur à la Bocconi, mais déjà préssenti comme premier ministre. Une meute de journalistes le suit partout, c’est formidable pour notre couverture presse. A l’époque, Monti joue encore à l’académique détaché et aimable, qui attend son heure et fait passer ses messages par de l’humour au deuxième degré. ‘Froid’, comme il dit de lui-même. Depuis, il a changé, pris une nouvelle dimension, assumant non seulement le pouvoir des décisions, mais surtout la responsabilité devant le peuple.

Monti n’est pas le dernier de la génération des fils fondateurs, comme Delors, bien que son age soit déjà avancé. Il est peut-être l’un des premiers ‘petits-fils fondateurs’. Parmi les présidences qu’il a accepté durant sa relative traversée du désert, il y avait non seulement le think tank Bruegel, choix presque évident, mais aussi European Citizen Action Service, proche du terrain. Je pense que Mario Monti aura aussi un jour sa place dans le panthéon européen. Pas trop vite: il y a encore du pain sur la planche! En Italie, mais peut-être aussi à la tête de l’Union européenne.

Mitterrand aussi, malgré ses nombreuses faiblesses, combinait l’action politique populaire avec une vision, une réflexion. Je me souviens de la fin de sa campagne de ré-election, en 1988. Le samedi avant le vote, il a choisi d’aller à un congrès du mouvement européen à La Haye, au lieu de se montrer à la télévision, dans sa circonscription, proche des français.

Monti qui vient présenter son livre à Bruxelles en pleine campagne, c’est un peu la même chose:
les jambes sur le terrain, mais sans oublier la tête en Europe.

PS: descendre dans l’arène, c’est possible à tous les niveaux, pas seulement pour les stars. Combien de fonctionnaires européens se lamentent de l’incompréhension des capitales, mais restent bien au chaud à Bruxelles? Certains se sont confrontés à l’electorat, comme Nick Clegg, ou Lousewies VanderLaan. J’en connais un autre qui a… créé un média internet! 🙂